La distance des nébuleuses spirales

 Partie 3 : Une découverte fructueuse : les étoiles variables Céphéides

 

Jusqu’au début du XXe siècle, les estimations de la distance des nébuleuses sont à la fois très incertaines et très variables. Une nouvelle méthode, celle dite des Céphéides va permettre de nouvelles recherches. Mais de quoi s’agit-il au juste et à qui en revient la découverte?

 

1. Les travaux de Henrietta S. Leavitt.

Le laboratoire de Pickering à Harvard, où Henrietta Leavitt est recrutée, s’est engagé dans une étude systématique des étoiles comportant leur localisation, leur étude spectrale et leurs variations photométriques. Dans ce laboratoire elle a pour tâche de standardiser la photométrie après avoir étudié une séquence polaire prise comme référence. Mais Pickering lui confie très vite l’étude, fastidieuse mais importante,  des étoiles variables des Nuages de Magellan. (Encart 1 : la méthode de travail de H. Lewitt)

C’est au printemps 1904 que H. Leavitt, étudiant deux plaques photographiques prises avec le télescope Bruce de 24 pouces, trouve quelques étoiles variables de faible magnitude. Les plaques étant mauvaises, des photographies à longue pose sont refaites à l’automne. C’est alors qu’elle découvre de nombreuses étoiles variables. Qui plus est, elle s’aperçoit que ces variables peuvent être étudiées sur des plaques prises à quelques jours d’intervalle car leur période est courte. Sa première publication porte sur l’analyse de 1777 étoiles variables présentes dans les deux nuages de Magellan[1]. Pour seize variables du petit Nuage de Magellan, elle constate que leur période varie de 1,2 à 127 jours. Elle remarque que certaines formes des courbes de variation de magnitude ressemblent à celle des variables détectées dans certains amas stellaires de la Galaxie. Elle signale alors que les étoiles les plus brillantes semblent avoir la plus longue période. Cette observation fondamentale sera à la base de la première « chandelle standard » utilisée pour mesurer la distance des nébuleuses spirales. Immédiatement elle estime que cette observation est particulièrement intéressante et annonce qu’elle va mesurer plus de périodes de variation.

C’est ainsi que le 3 mars 1912 elle publie une étude de 25 étoiles variables du Petit Nuage de Magellan. Elle rappelle les énormes difficultés rencontrées pour cette étude, en particulier en raison de la faible magnitude des étoiles étudiées et de leur courte période. Ces étoiles ont le plus souvent une faible magnitude mais celle-ci augmente assez vite puis décroît lentement.

 

Figure 6 : Les courbes période-magnitude de Henrietta Leavitt de 1912.

 En classant les 25 étoiles étudiées par période croissante,  H. Leavitt confirme l’existence d’une « remarquable relation entre la brillance de ces variables et la longueur de leur période ». Elle construit deux courbes reliant en ordonnée les magnitudes minimales et maximales et en abscisse la période de variation de cette magnitude. Voyant l’aspect de ces courbes elle en construit deux nouvelles en prenant les logarithmes des périodes : les deux courbes sont alors des droites parallèles. Il existe donc une relation linéaire entre la période et la magnitude de ces étoiles variables : le logarithme de la période augmente de 0,48 pour chaque augmentation de magnitude. Comme toutes ces étoiles variables sont dans le Petit Nuage de Magellan (PNM) et comme celui-ci doit être très éloigné de la Terre par rapport à la distance des étoiles entre elles, cette dernière distance est négligeable par rapport  à la distance Terre-PNM. Elle peut donc considérer que les Céphéides sont à peu près à la même distance de la Terre. Ainsi  les variations de magnitude des étoiles sont-elles bien liées aux propriétés physiques de ces étoiles (masse, densité, luminosité de surface).

H. Leavitt fait remarquer ensuite que toutes les variables ne sont pas identiques, notamment lorsque les périodes sont plus grandes et qu’il serait intéressant d’étudier leur spectre. Cette étude permettrait des comparaisons plus précises entre les Céphéides du PNM et celles observées dans la Galaxie. Elle imagine immédiatement la solution pour faire de sa courbe un indicateur de distance : il suffira de disposer d’une mesure de parallaxes de quelques-unes unes de ces étoiles variables situées dans la Galaxie, donc plus près de nous pour calibrer la relation[2]. Ce travail sera réalisé par Hertzsprung et Shapley.

 

2. Le premier étalonnage de Ejnar Hertzsprung .

C’est à partir du catalogue d’étoile de Lewis Boss (1846-1912), le « Preliminary General Catalogue of 6 188 stars » que Hertzsprung, dès 1910, identifie treize céphéides. Il s’agit de céphéides de champ[3], c’est à dire proches du Soleil. C’est d’ailleurs lui qui donne le nom générique de Céphéide à ces étoiles variables dont le prototype est  delta Cephei. Il calcule leurs distances par la méthode des parallaxes statistiques  (voir encart 2),  méthode mise au point par Kapteyn en 1901.

Hertzsprung connaissait les travaux de Henrietta Leavitt et sa relation période magnitude photographique que l’on peut convertir ainsi :

= 2,08 lod P   (P en jours).

Il disposait du catalogue d’étoiles de Lewis Boss (1846-1912), le « Preliminary General Catalogue of 6 188 stars ». En 1910, il identifie treize céphéides et calcule leur parallaxe statistique qui, avec leur magnitude apparente lui permet de calculer la relation :

  = - 0,6 – 2,1 log P

Ce qui lui donne une magnitude absolue de – 2,32.

La magnitude moyenne photographique des céphéides du PNM que prend Hertzsprung est de 14,5. Il applique une correction de 1,5 magnitudes pour obtenir la magnitude visuelle qui est de 13.

Il écrit dans son article:

5 log p = -7,3- 13 = - 20.3 (en fait –2,3 – 5 – 13)

puis p = 0,0001 secondes d’arcs.

Les calculs donnent log p = -  4,06 et p =  0,000087 que l’on peut effectivement arrondir à 0,0001.

Si maintenant on convertit cette valeur en parsecs on obtient d = 1/p = 10 000 parsecs soit environ 32 600 a.l. que l’on peut, compte-tenu de l’imprécision des données réduire à 30 000 a.l.

En réalité dans l’article le chiffre donné est de 3 000 a.l. On estime qu’il s’agit probablement d’une faute de frappe. Dans le paragraphe suivant Hertzsprung déclare que le PNM est situé à environ 2000 a.l. du plan de la Voie Lactée. Cette distance extraordinairement faible a été interprétée par Fernie   comme une erreur de frappe avec oubli d’un zéro. Il est cependant étonnant que cela ait échappé à Hertzsprung qui n’a jamais publié d’erratum. Dans son article de 1914, Russell signale l’erreur et la corrige à 30 000 a.l.5 Il est probable, comme le souligne Fernie, que, pour cette erreur et parce que, dit-il, les dimensions de la Galaxie n’étaient pas connues, le travail de Hertzsprung n’eut pas un grand succès. D’ailleurs Shapley, un peu plus tard, sera amené à établir un nouvel étalonnage de la relation pour poursuivre ses recherches.

De son côté, Henry Norris Russell (1877-1957) travaille sur les étoiles, à la fois sur leurs distances et leurs spectres. Il publie un article dans lequel il donne la magnitude absolue des mêmes treize Céphéides  choisies par  Hertzsprung, calculée par la méthode des parallaxes statistiques. Cependant il ne l’applique pas au PNM. Les résultats qu’il trouve sont presque identiques à ceux de Hertzsprung.

 

3. L’étalonnage de Harlow Shapley.

Vers 1915, Harlow Shapley s’intéresse aux amas globulaires dont il espère mesurer la distance à partir de la relation période–luminosité des Céphéides. Son travail se déroule en deux temps : calcul de la magnitude absolue d’étoiles de champ puis établissement de la relation période magnitude absolue. Il reprend l’étalonnage des étoiles retenues par Hertzsprung auquel il reproche d’avoir fait ses calculs à partir de 13 étoiles de champ, mais dont deux ne seraient pas, pour Shapley, des Céphéides typiques : κ Pavonis et ί Carina. Il corrige également certaines mesures qui lui paraissent erronées. C’est donc avec onze étoiles que Shapley arrive à calculer une magnitude absolue moyenne. Il applique la méthode des parallaxes statistiques ou séculaires. Pour chaque étoile il dispose des mesures de la magnitude visuelle médiane, du type spectral, de la période, des coordonnées parallactiques6 de la distance angulaire par rapport au déplacement du Soleil et de la vitesse radiale. Il effectue une pondération des coordonnées parallactiques en fonction de la distance angulaire au Soleil et ramène les valeurs à la magnitude 5 pour limiter le problème des dispersions de distance (la magnitude moyenne des céphéides à la médiane de la variation des magnitudes est en réalité de 4,8). La vitesse du Soleil en direction de l’apex a été mesurée par plusieurs auteurs ; Shapley retient celle de 21,5 km.s-1 (parmi les valeurs disponibles se trouvait la valeur actuelle de 19,7 km.s-1). À partir de ces données il peut calculer la valeur de la parallaxe (statistique) puis celle de la magnitude absolue.

= - 2,26 ± 0,22 pour une période moyenne de 5,96 jours.

Il utilise ensuite les données de Henrietta Leavitt et remplace la valeur de la magnitude photographique par la magnitude absolue. Il peut alors donner la courbe décrivant la relation entre la magnitude absolue et le logarithme de la période pour environ 230 étoiles.

Il constate alors (comme H. Leavitt avant lui) que si les Céphéides typiques ont une période inférieure à un jour, il en est d’autres de périodes plus longues. Mais parce que ce sont aussi des géantes rouges, comme les autres variables, il juge possible de les intégrer dans les calculs. Un autre choix, plus discutable, sera « d’ignorer avec sécurité la diffusion générale de la lumière dans l’espace »7, ce qui va entacher d’erreurs ses mesures. Aux distances où se situent les amas globulaires,  l’absorption est loin d’être sans conséquence sur l’évaluation de la distance, qui est ainsi  surestimée. Shapley soulève une autre difficulté : parvenir à séparer les étoiles variables intrinsèques des étoiles doubles qui donnent aussi une impression de variabilité mais dont les propriétés physiques n’ont rien à voir avec les premières. Il n’est pas sûr d’avoir pu éliminer de ses échantillons d’étoiles variables,  toutes les étoiles doubles. Il existe en effet,  parmi les variables retenues dans ses calculs,  d’authentiques étoiles doubles comme par exemple l’étoile Polaris.

Pour appliquer son étalonnage à la relation période-luminosité établie par Henrietta Leavitt pour des céphéides du PNM, il transforme d’abord la relation période-magnitude photographique de cette dernière en relation période-magnitude absolue. Pour cela il lui faut d’abord transformer la magnitude photographique en magnitude visuelle. Il le fait à partir de deux travaux antérieurs qui avaient permis le calcul de l’indice de couleur (IC) séparant ces deux types de magnitude.

 

Figure 7 : Reproduction de la courbe période-magnitude absolue de H. Shapley

L’indice de couleur dépend de la période selon la formule :

IC = -0,55 + 1,5 log P

La courbe établie par Shapley donnant la relation entre la magnitude apparente visuelle et la magnitude absolue des Céphéides de champ,  permet d’attribuer aux étoiles utilisées par H. Leavitt une magnitude absolue.

Cela suppose que les Céphéides du Petit Nuage de Magellan ont des propriétés identiques à celles des céphéides de champ, lorsque leur période est identique, ce que tous les astrophysiciens admettent à l’époque comme hautement probable[4]. Par ailleurs, en superposant sur la courbe les céphéides de champ et celles du PNM, Shapley observe une corrélation satisfaisante.

Dans son article suivant  il applique cette méthode à l’étude de 69 amas globulaires ; ce travail ne concerne pas précisément notre sujet sur les nébuleuses mais il montre l’apport de son étalonnage à l’étude des objets lointains dont la mesure de distance était inaccessible par la méthode des parallaxes. Cette courbe sera utilisée plus tard par Hubble pour mesurer la distance de quelques nébuleuses spirales. Nous l’aborderons dans notre dernière partie.

Fin de la partie 3

 

Encart 1 : La méthode de travail de Henrietta Leavitt

Après avoir reçu les plaques photographiques prises par le frère de Pickering qui observe au Pérou, elle doit construire un dispositif pour mesurer précisément leur position ainsi que celle des étoiles de comparaison. Pour cela elle décide de déterminer leurs coordonnées rectangulaires (en x et y) car la mesure de leur ascension droite et de leur déclinaison aurait été à la fois très longue mais aussi imprécise en raison de leur grande magnitude. Elle trace, sur une plaque de verre, un quadrillage de 1 mm de côté. Ce réticule est photographié puis agrandi à la dimension des plaques photographiques de manière à ce que les carrés mesurent 1 cm de côté. Un film positif est produit pour chaque Nuage de Magellan et,  à partir de ceux-ci un négatif qui, superposé à la grille donne une photographie résultante comportant à la fois les Nuages et la grille dont les divisions correspondaient à dix minutes d’arc. Un réticule divisé en 1/3 de mm monté sur un oculaire lui permet des mesures précises à la seconde d’arc. Une correspondance entre les coordonnées classiques et les coordonnées rectangulaires est ainsi établie. Les coordonnées rectangulaires ont pour origine le coin sud de la plaque de telle façon que le centre ait les coordonnées suivantes : x=12 752’’ et y=10 393’’ correspondant à une ascension droite RA=0h 50,9 m et une déclinaison, Dec.=-73°7’ (pour 1900).

Le catalogue résultant de ces travaux donne le numéro de l’étoile dans la classification stellaire de Harvard, les coordonnées x et y puis les magnitudes maximales et minimales de chaque variable  et l’amplitude de variation.

 

Encart 2 : Parallaxes statistiques.

Le Soleil se déplace vers un point de la Galaxie appelé apex, situé dans la constellation d’Hercules. Sa vitesse est d’environ 19,7 km.s-1. La parallaxe mesurée est liée à ce mouvement du Soleil. Le mouvement apparent d’une étoile est donc lié à une composante due au déplacement du Soleil en direction de l’apex et un mouvement propre de l’étoile. Ce dernier dépend de la distance de l’étoile : plus elle est éloignée plus ce mouvement propre est petit. Le mouvement propre est mesuré sur des plaques photographiques prises à plusieurs mois de distance après une correction liée à la latitude galactique. Si on considère des étoiles du voisinage solaire, leurs vitesses particulières sDont en moyenne nulles car distribuées au hasard et le mouvement de ces étoiles est donc dû à leur mouvement propre et à la vitesse du Soleil. En mesurant sur des photographies le mouvement propre m en secondes d’arc par an, la magnitude apparente et la vitesse radiale de certaines étoiles,  on peut calculer leur distance si la magnitude absolue de ces étoiles est la même pour tout l’échantillon. Pour cette raison cette mesure ne s’applique qu’à des étoiles de type particulier : type spectral A4, RR Lyrae, certaines Céphéides classiques qui ont dans ce voisinage solaire une même magnitude absolue.

 

[1] A ce moment on ignore que les nuages de Magellan sont d’autres galaxies.

[2] Voir plus loin le problème de l’étalonnage des échelles de distance en astronomie.

[3] On appelle étoiles du champ les étoiles de la Galaxie qui ne sont pas groupées en amas stellaires. C’est le cas des étoiles proches du Soleil.

5 C’est à cette valeur que l’on arrive effectivement, comme nous l’avons vu, lorsqu’on effectue les calculs avec les données de Hertzsprung.

6 Par rapport à l’axe du mouvement du Soleil : antapex-apex.

7 Phrase écrite par Shapley dans son article

[4] Il ne tient pas compte du fait que toutes les étoiles variables ne sont pas identiques comme Russell l’avait indiqué.

Suite et fin: partie 4

 

Alain Brémond