Histoire des nébuleuses planétaires
Jusqu’aux développements de la spectroscopie et l’apparition des grands télescopes, soit à la fin du XIXe siècle, on appelait nébuleuse tout objet astronomique qui n’était ni une étoile, ni une planète ni une comète. C’était une tache floue et sous ce vocable on englobait les galaxies, les nébuleuses gazeuses et les nébuleuses planétaires et certains amas stellaires, au moins jusqu’à William Herschel. Bien sûr, ces objets avaient des formes différentes mais l’insuffisance des lunettes, jointe à l’ignorance complète de leurs distances et de leurs propriétés physiques, ne permettaient pas d’en définir la nature.
Les observateurs découvrent les nébuleuses planétaires.
La première nébuleuse planétaire découverte est M27, dans la constellation du Petit renard, observée par Charles Messier (1730-1817) le 12 juillet 1764. Voici ce qu’il écrit : « nébuleuses sans étoiles. Bien vue avec la lunette de 1 pied et demi. Elle apparaît ovale et ne contient pas d’étoile. » Il en recense ensuite plusieurs autres, dont M57, sans toutefois tenter de préciser leur nature.
William Herschel (1738-1822) observe les étoiles, les amas stellaires et les nébuleuses et, après avoir reçu le catalogue de Charles Messier observe en particulier M57. Cet objet l’intrigue car il ne sait où le classer : « Extrêmement curieux, pas tout à fait rond. La partie la plus lumineuse est vers l’extérieur et le milieu semble être sombre. Je suspecte qu’au moins le côté gauche consiste en très petites étoiles. » [1] Il envisage qu’il puisse s’agir d’un amas d’étoiles très éloigné que son télescope ne peut résoudre. Il faut noter qu’il vient de découvrir Uranus le 13 mars 1781 et c’est la mémoire de cette découverte qui va l’orienter vers une ressemblance avec ces objets arrondis. Le 7 septembre 1782 il découvre la nébuleuse Saturne (NGC 7009) et lui donne le nom de nébuleuse planétaire. En effet, il l’observe avec différents grossissements et si cet objet ressemble à une planète, son éclat restant identique d’un grossissement à un autre[2] comme une étoile. Pour Herschel, il ne s’agit cependant pas d’une planète : le terme est purement descriptif.
Son fils John l’observera aussi et à eux deux ils auront réalisé vingt-trois observations de cette nébuleuse. Dans son catalogue John Herschel la définit ainsi : AD : 20h 56min 31.2s’ et DEC 3.273° (précession 0 janv 1860). Par John Herschel : !!!; O ; vB ; S ; elliptic : Magnificent, planetary nebula, very bright, small, elliptic[3].
Plus tard, William Lassel (1799-1880) l’observe aussi et la décrit comme annulaire, un anneau elliptique avec une étoile en son centre.
Après quelques années, William Herschel en fera une classe particulière parmi les objets célestes, la classe IV ; mais revenons à ses hésitations quant à la nature de cet objet. Au début il estime que ces objets pourraient correspondre à une phase terminale de l’évolution des amas globulaires en voie de fusion. La découverte le 13 novembre 1790 d’une nébuleuse planétaire comportant une étoile en son centre lui fait rejeter l’hypothèse de la nébuleuse planétaire comme un amas d’étoiles non résoluble. En effet, il est certain que l’objet central est bien une étoile et qu’elle est connectée avec la nébuleuse. Il y a, selon lui, peu de chance qu’une étoile se projette parfaitement au centre de la nébuleuse par hasard. Alors, dit-il, si l’anneau était aussi fait d’étoiles il faudrait qu’elles soient infiniment petites ou que l’étoile centrale soit gigantesque : il rejette l’hypothèse de la nature stellaire de la nébuleuse. A partir de ce moment il évoque la possibilité d’une forme d’évolution d’une étoile éventuellement par suite du choc entre deux d’entre elles[4].
John Herschel (1792-1871) inclura vingt-quatre objet comme nébuleuse planétaires dans son General Catalog. Ce sont les objets NGC : 1045 1225 1565 1567 1574 1783 1801 1843 2102 2158 2343 (M97) 2581 3536 3661 3876 4066 4125 4234 4284 4386 4390 4407 ( ?) 4487 4510.
Dans son ouvrage : Outlines in Astronomy, John Herschel propose que ces nébuleuses planétaires seraient constituées d’une coquille sphérique entourant une étoile centrale. Il réfute l’idée qu’il s’agisse d’une étoile car alors sa taille produirait un éclat de plus de 200 fois supérieur à la plus brillante des étoiles.
Les grands télescopes comme celui de William Parsons, Lord Rosse (1800-1867) qui mesure 183 cm de diamètre, n’apporteront que la confirmation de la nature nébulaire de ces objets, mais rien sur leur nature intime.
L’étude spectroscopique des nébuleuses.
Une seconde étape est franchie avec l’utilisation en astronomie de la spectroscopie.
William Huggins (1824-1910) est un des pionniers de la spectroscopie astronomique. Après avoir étudié les étoiles et observé leur spectre continu associé aux raies d’absorption, il s’intéresse aux nébuleuses. Le 29 août 1864, il observe NGC 6543 dans le Dragon : la nébuleuse de l'Œil de Chat. Sa surprise est grande. Loin d’observer un spectre qui ressemblerait à celui des étoiles il découvre une seule raie brillante[6] associée à deux autres raies très faibles.
Il examine au total huit nébuleuses planétaires. Toutes montrent un spectre en émission. Certaines des raies sont attribuées à l’hydrogène, une autre à l’azote et une troisième reste inconnue. Suivant les lois de Kirchoff, il en déduit que ces nébuleuses planétaires sont probablement constituées d’une sphère de gaz très chaude. Quant à la nature du corps inconnu sur Terre, il l’attribue à une substance hypothétique qu’il nomme : le Nébulium. Les études spectroscopiques ultérieures montreront qu’il existe aussi un très faible spectre continu.
La nature des raies spectrales des nébuleuses est élucidée en plusieurs étapes. En 1916, Vesto Slipher (1875-1969) à l’observatoire Lowell à Flagstaff montre que certaines nébuleuses brillent par l’intermédiaire de certaines étoiles situées à l’intérieur et développe le concept de nébuleuses par réflexion. William Hammond Wright (1871-1959), astronome à Lick, constate, en 1918, que les étoiles centrales des nébuleuses planétaires émettent une grande quantité de rayonnement ultra-violet. Henry Norris Russel (1877-1957) propose, en 1921, que certaines des raies soient induites dans les nébuleuses diffuses par le rayonnement très énergétique d’étoiles voisines. Edwin Hubble (1889-1953) apporte des observations qui en 1922, appuient cette hypothèse. Tout d’abord ce sont les raies de l’hydrogène ionisé qui sont expliquées. En 1927, Herman Zanstra (1894-1972) travaille sur les spectres d’émission des nébuleuses diffuses. Il montre que la lumière ultra-violette émise par les étoiles proches de la nébuleuse ionise l’hydrogène atomique qu’elles contiennent. La désexcitation de l’hydrogène ionisé produit ensuite les raies d’émission observées en spectroscopie.[7]
Les raies du Nebulium à 500.7 et 496.0 nm restent mystérieuses jusqu’en 1928. A cette date, Ira Sprague Bowen [8] (1898-1973) montre que le Nebulium est principalement de l’oxygène ionisé deux fois (OIII). Cet élément ne peut se produire que dans un milieu très raréfié qui n’existe pas sur Terre mais représente l’état de dilution normal des nébuleuses. Dans ce milieu, des transitions de fréquence exceptionnellement faible (à partie d’états méta-stables) peuvent se produire et donnent ce que l’on nomme improprement les raies « interdites ».
Un état métastable est un état dans lequel un noyau atomique est 'bloqué' dans un état excité (à un niveau d’énergie supérieur à son état fondamental) pendant un certain temps, de quelques milliardièmes de seconde à plusieurs milliards d’années. (source C.E.A.)
Un électron éjecté à partir d’un état métastable va retomber sur un niveau en un temps assez long (1/1000 s). Dans un milieu assez dense, pendant ce temps, les atomes ont le temps de se désexciter par collisions et le photon correspondant ne sera pas soit émis. Dans un milieu très peu dense, le délai moyen avant qu’un choc se produise est de l’ordre de 104 à 107 secondes et donc la transition a le temps de se produire et la raie autrement « interdite » d’être émise.
Ainsi, en 1928 la structure de la nébuleuse planétaire était identifiée : un gaz formé d’hydrogène, d’azote et d’oxygène très dilué.
Mais qu’en était-il de l’étoile centrale ?
A partir de 1930 on estime que l’étoile centrale est une naine blanche. Mais quelles études et quel raisonnement ont-ils permis ces conclusions ?
Déjà en 1922, Hubble avait estimé que l’étoile centrale devait avoir une température de surface très élevée et que son émission principale se faisait dans l’ultra-violet. Des études successives l’avaient confirmé et avec Zanstra, on l’estime à 50 000 K en moyenne. On constate aussi que l’étoile centrale est peu brillante. Ce pourrait être dû à l’opacité du gaz de la nébuleuse mais comme tout indique que ce gaz est très ténu, cette hypothèse doit vite être abandonnée. Avec les mesures de distance des nébuleuses on déduit que la luminosité de l’étoile est faible. Mais, compte-tenu de la température élevée, la correction bolométrique est estimée autour de -5. Ainsi la magnitude absolue bolométrique d’une étoile de nébuleuse planétaire doit se situer autour de +1,3. Si celle du Soleil est de +4,8 alors le rayon de l’étoile doit être environ 0,06 Rsolaire. Comme la masse ne peut être aussi petite, cela veut dire que c’est le rayon de l’étoile qui est petit et que par conséquent la densité de l’étoile se situe entre 5.103 et 5.104 fois celle du Soleil : c’est dont bien une naine blanche. On connaissait des étoiles naines dans le diagramme de Hertzsprung-Russel : on constate que les étoiles centrales des nébuleuses planétaires leur ressemblent : ce sont des naines brillantes : des naines blanches[9].
Jusqu’à la fin des années 40 on n’a pas de certitude sur le mécanisme de formation des nébuleuses planétaires. On commence à mettre en doute l’idée que ce serait une structure correspondant à la naissance de certaines étoiles. Dans ce cas on s’attendrait à observer un disque plutôt qu’une sphère. A la fin de cette période, plusieurs astronomes commencent à signaler la ressemblance entre les nébuleuses planétaires et les novae. Par contre un point les gêne ; alors que les novae évoluent rapidement avec le temps, les nébuleuses planétaires semblent particulièrement stables[10]. Mais peut être l’expansion de ce type de nébuleuse serait-il particulièrement longue ?
Une des grandes difficultés concernant les nébuleuses planétaires est le calcul de leur distance. En effet du fait du nuage de gaz qui entoure l’étoile la mesure de sa magnitude absolue est entachée d’erreur. Par exemple, NGC 7662 (blue snowball)a une distance estimée entre 2 000 et 6 000 a.l.
En 1856, un astronome russe, Josif Samuilovich Shklovsky[11] (1916-1995) commence à entrevoir, à la suite d’un raisonnement complexe tiré des toutes les observations accumulées à ce jour, une hypothèse selon laquelle les étoiles des nébuleuses planétaires pourraient provenir de l’évolution de géantes rouges. Il se base aussi sur les quelques travaux qui concernent l’évolution des étoiles tels ceux de Martin Schwarzschild (1912-1997).
Dès lors, à la fin des années 60 il semble de mieux en mieux établi que les nébuleuses planétaires proviennent d’étoiles qui brûlent de l’hélium en coquille autour du noyau et dont la masse du cœur se situe entre 1,2 et 1,6 masses solaires[12].
En 1970 le scenario actuel est validé qui fait des nébuleuses planétaires la fin de vie des étoiles de faibles masses de l’ordre de celle du Soleil.
Conclusions
Il aura fallu entre 1764, année de leur découverte par Charles Messier et 1970, près de deux cents ans et un peu plus de 1000 articles scientifiques pour élucider le mystère de ces objets.
[1] Archives W. Herschel. 4/1.3, f 223
[2] Ibid. 4/1.3, f231
[3] John Herschel : A general catalogue of nebulae and clusters of stars, arranged in order of right ascension and reduced to the common epoch 1860.0 (with precession computed for the epoch 1880.0).
[4] Philosophical transactions. 1802 : XCII : 447-528.
[5] William Herschel : Sweeps made with the 20-ft telescope, in 8 folio volumes. Archives Herschel :n° 2/3.3 page 31.
[6] W. Huggins. On the spectra of some of the nebulae. Phil. Trans. 1864 : 154 : 437-444.
[7] Hermann Zanstra. An application of the quantum theory to the luminosity of diffuse nebulae. Astrophysical J. 1927 ; 65 : 50-70
[8] Ira Sprague Bowen, « The Origin of the Nebulium Spectrum », Nature, no 120, 1er octobre 1927, p. 473
[9] B.P. Gerasimovic. The nuclei of planetary nebulae. The Observatory. 1931 ; 54 : 108-110.
[10] Charles Dillon Perrine. The status of the planetary nebulae. Popular Astronomy. 1959 ; 57 : 324-327
[11] I.S. Shklovsky. Astronomical Union Symposium. 1957 ; 3 : 83-86
[12] G.S Kutter. M.P Savedoff et D.W. Schuherman. A mechanism for the production of planetary nebulae. Astrophysics and Space Science. 1969 ; 3 : 182-197
Alain Brémond